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Cinquante ans après la Convention de la Baie-James et du Nord québécois, l’héritage est plus vivant que jamais.

Photo: Jade Bernier
2025 | 11 | 5
Histoires

Il y a maintenant cinquante ans, la Convention de la Baie-James et du Nord québécois (CBJNQ) posait un jalon décisif pour les peuples inuit et cris du Québec. Cet accord historique représentait la première reconnaissance officielle de nos droits territoriaux, de notre mode de vie et de notre capacité à prendre nos propres décisions. En matière d’éducation, la CBJNQ a ouvert la voie à un système scolaire pensé par et pour les communautés du Nord, enraciné dans leurs réalités culturelles et linguistiques. C’est dans ce contexte qu’est née Kativik Ilisarniliriniq, en 1975, l’une des premières institutions éducatives issues d’un traité moderne au Canada.

Aujourd’hui encore, cette entente continue de vivre à travers notre travail quotidien. Chaque programme, chaque projet et chaque choix éducatif que nous faisons s’inscrivent dans la continuité de cette promesse. Bien sûr, les défis ont évolué, tout comme les contextes, mais l’esprit de la CBJNQ — autonomie, collaboration et transmission des savoirs inuit — continue de guider notre parcours collectif.

Un héritage fort : une éducation fidèle à nos valeurs

La CBJNQ affirmait clairement le droit des Inuit à recevoir une éducation respectueuse de leur culture, de leur langue et de leurs valeurs. Cinquante ans plus tard, cet engagement se traduit par un système scolaire complet, centré sur l’élève et son appartenance culturelle au Nunavik. De l’apprentissage de l’inuktitut dès la petite enfance jusqu’aux programmes pour adultes ancrés dans la vie communautaire, chaque initiative vise à permettre aux élèves d’apprendre sans renier leur identité.

Notre plan stratégique Sivumuattiit 2025-2030 poursuit cette vision. Élaboré à la suite d’une grande consultation régionale, il s’articule autour de trois piliers essentiels : l’identité, la langue et le bien-être. Ces priorités rappellent que la réussite scolaire ne peut être séparée du sentiment d’appartenance et de la continuité culturelle. Elles expriment aussi une volonté collective d’aller de l’avant, dans le respect de ce que la CBJNQ a permis : une éducation conçue avec et pour les Nunavimmiut.

Arqusiurtiit : repenser notre curriculum pour renforcer notre autonomie

Parmi les initiatives majeures en cours, le comité Arqusiurtiit joue un rôle central. Il a été mis sur pied pour repenser le curriculum scolaire du Nunavik et actualiser la politique linguistique en matière d’enseignement. Né d’une analyse approfondie du contenu éducatif et des pratiques pédagogiques, ce comité rassemble des conseillers, des enseignants et des experts. Ensemble, ils œuvrent à clarifier les parcours de réussite, à revoir l’organisation du temps d’enseignement et à proposer une approche cohérente à l’apprentissage multilingue.

Ce travail va bien au-delà d’une simple réforme technique. Il s’agit d’un exercice d’autodétermination collective : une façon de réfléchir au quoi, au comment et au pourquoi de notre enseignement. Un volet fondamental de cette démarche est la création d’un cadre éducatif inédit pour le Nunavik, basé sur une vision inuit des compétences et du savoir. Ce travail de fond, mené avec rigueur et fierté, jettera les bases des futurs programmes dans nos écoles.

L’objectif est que les élèves puissent apprendre dans un environnement où l’inuktitut, le français et l’anglais cohabitent harmonieusement, sans que les savoirs inuit soient relégués au second plan. Cette réforme naît du Nord, des besoins exprimés par les communautés, des réalités des classes et des espoirs partagés pour les générations futures.

Vers la création d’une institution postsecondaire au Nunavik

Un autre pas important vers une éducation autonome s’amorce avec le projet d’établissement d’une institution postsecondaire au Nunavik. Porté par l’équipe des services aux étudiants postsecondaires, avec le soutien de partenaires régionaux et gouvernementaux, ce projet repose sur une idée forte : les jeunes ne devraient pas avoir à quitter leur territoire, leur famille et leur culture pour poursuivre des études supérieures.

Ce n’est pas simplement une question de proximité géographique. Il s’agit de concevoir une offre de formation postsecondaire selon une perspective inuit : des programmes adaptés aux réalités locales, une approche pédagogique ancrée dans la culture et une gouvernance déterminée par les Nunavimmiut. La création de cette institution s’inscrirait pleinement dans l’esprit de la CBJNQ : une éducation complète, de la petite enfance à l’université, pensée et construite par ceux et celles qu’elle concerne directement.

Droits issus de traités : la Loi 14 et ses impacts

Un demi-siècle après la signature de la CBJNQ, ses principes fondateurs doivent toujours être protégés. C’est pourquoi Kativik Ilisarniliriniq a entamé une action juridique pour contester la Loi 14, adoptée par le gouvernement du Québec. Cette loi impose de nouvelles obligations linguistiques aux étudiants postsecondaires, et ses effets se font déjà sentir : certains jeunes Nunavimmiut ont abandonné leurs études, d’autres ont vu leurs résultats chuter, et beaucoup se sentent découragés face à des obstacles injustifiés.

La démarche judiciaire vise à faire reconnaître que cette loi va à l’encontre des droits linguistiques garantis par le traité, notamment le droit d’étudier dans la langue de son choix. Au-delà de l’éducation, c’est la relation entre les Inuit et l’État québécois qui est en jeu. Cette lutte rappelle que l’autodétermination passe aussi par la défense active des droits acquis, et par une vigilance constante face aux décisions susceptibles de les compromettre.

Un héritage toujours vivant

Cinquante ans après la signature de la CBJNQ, nous ne nous contentons pas de regarder le passé; nous préparons l’avenir. L’élan amorcé en 1975 se poursuit grâce à l’engagement quotidien de notre personnel enseignant, de nos conseillers pédagogiques, de notre administration et de tous nos partenaires communautaires.

Le parcours réalisé illustre une vision toujours d’actualité : permettre à chaque enfant, à chaque jeune et à chaque adulte du Nunavik d’apprendre, de rêver et de s’épanouir dans le respect de leur culture et de leur langue.

L’autodétermination n’est pas une idée abstraite. Elle prend forme chaque jour dans nos salles de classe, nos comités, nos politiques et nos programmes. En poursuivant cette mission, Kativik Ilisarniliriniq continue de faire vivre l’esprit de la CBJNQ : un esprit de justice, de respect et de responsabilité envers les générations futures.