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Lettre ouverte au premier Ministre François Legault

2022 | 05 | 20
Communiqué de presse

Monsieur le premier Ministre,

Au début du mois d’avril 2022, je vous écrivais pour préciser que, tout comme les représentants des Premières Nations au Québec, Kativik Ilisarniliriniq souhaite qu’une exonération soit accordée en lien avec le projet de loi n° 96 à tous les étudiants inuits du Nunavik qui sont inscrits à des programmes collégiaux au Québec. À cet égard, je désire aussi souligner que Kativik Ilisarniliriniq soutient les prises de position en ce sens formulées par le Conseil en Éducation des Premières Nations, l’Association des Premières Nations Québec-Labrador et plusieurs Chefs de Premières Nations au Québec.

Tel qu’il est actuellement médiatisé, le débat entourant le projet de loi n° 96 offre une image trompeuse des demandes des communautés autochtones. L’anglais n’est pas une langue coloniale que nous souhaitons adopter. Les langues autochtones sont les langues que nous souhaitons parler, transmettre, revitaliser, nourrir et renforcer.

En vertu de la Convention de la Baie-James et du Nord québécois (1975), au Nunavik la langue d’enseignement est l’inuktitut; le français et l’anglais sont enseignés comme langues secondes. L’inuktitut est une langue parlée par 98 % de la population des 14 villages du Nunavik, et c’est la langue parlée à la maison dans 85,7 % des foyers familiaux (Nunivaat, Nunavik in Figures 2020 et Statistique Canada, 2016). Ces communautés sont petites et sont isolées : du point de vue linguistique, elles sont peu exposées à une vie quotidienne en langue seconde et du point de vue géographique, elles sont accessibles uniquement par voie aérienne ou maritime.

Les embûches et obstacles à la réussite des élèves du Nunavik sont multiples et systémiques. Pour poursuivre des études collégiales ou universitaires, les résidents du Nunavik doivent quitter le territoire. En leur état actuel, les infrastructures de télécommunications du Nunavik ne permettent pas la poursuite d’études postsecondaires à distance. Cette situation problématique est d’ailleurs amplement documentée. De plus, il est également clair que les mesures d’accès récemment annoncées par le gouvernement canadien ne peuvent pas s’appliquer au Nunavik (forfaits Internet haute vitesse à 20 $ par mois pour les familles et les aînés à faible revenu).

Actuellement, le taux de diplomation à la sortie du secondaire est de 23 % en moyenne au Nunavik. Seulement 3,5 % de la population inuite possède un diplôme d’études collégiales. Au niveau universitaire, 1,2 % détient un certificat et 0,8 %, un baccalauréat (Nunivaat, Nunavik in Figures 2020 et ministère de l’Éducation du Québec).

À l’heure actuelle, le système collégial du Québec est unifié. En effet, peu importe qu’un étudiant soit scolarisé en anglais ou en français, il existe un tronc commun de cours obligatoires, dont deux cours en langue seconde : l’anglais langue seconde pour ceux ayant opté pour le cégep en français, et le français langue seconde pour ceux inscrits à l’un des huit collèges anglais du Québec.

Pour les étudiants inuits du Nunavik, le cheminement collégial EST DÉJÀ un cheminement en langue seconde, peu importe qu’il se fasse dans un cégep en français ou en anglais. Dans les faits, le projet de loi n° 96 créera deux systèmes collégiaux distincts, où les exigences ne seront pas les mêmes pour tous. L’ajout de conditions supplémentaires à l’obtention d’un diplôme collégial pour les étudiants inuits du Nunavik qui font le choix de poursuivre leurs études collégiales en anglais n’est pas acceptable.

Le 30 septembre dernier, le Canada célébrait la première Journée de la réconciliation et de la vérité. Il y a quelques semaines, le lancement canadien de la Décennie des langues autochtones décrétée par l’ONU avait lieu à Ottawa. Le 21 juin 2021, la Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones entrait en vigueur au Canada. Cette loi, qui fait progresser la mise en œuvre de la Déclaration, constitue une étape importante du renouvellement de la relation du gouvernement du Canada (et des provinces) avec les peuples autochtones.

Dans ce contexte, il nous apparaît que le projet de loi n° 96 devrait être l’occasion de renforcer les langues autochtones, non pas de les reléguer au second rang ni de les traiter comme une menace à la survie de la langue française au Québec. Nous entendons résister à tout changement qui ferait reculer la possibilité pour les Inuits du Nunavik de participer pleinement à la société québécoise tout en pratiquant la culture et la langue inuite telles qu’elles leur sont transmises depuis des milliers d’années en territoire arctique au Québec. Nous sommes à la croisée des chemins. Tout geste témoignant d’une volonté sincère de la part de votre gouvernement de s’engager dans un dialogue réel avec les Inuit et les Premières Nations au Québec serait par conséquent significatif.

Je vous prie, Monsieur le premier Ministre, d’agréer l’expression de mes sentiments les plus respectueux.

 

Sarah Aloupa

Présidente