Renouer avec ses racines : un essai de Nauya Vidahl

2018 | 05 | 31
Histoires

Pendant la pause de mars, la première cohorte de Nunavik Sivunitsavut a passé une semaine à Kangirsujuaq dans le cadre d’une semaine de survie. Ce fut à la fois une expérience révélatrice et profonde. Apprenez-en davantage sur l’expérience de Nauya Vidahl, étudiante de première année avec Nunavik Sivunitsavut, par le biais d’un essai où elle repense à cette semaine dans le nord, à ce que cela signifie pour une Inuk et à la transformation personnelle qu’elle a vécue.

Tout juste après la pause de mars, Nunavik Sivunitsavut a fait un voyage au nord, dans mon village natal de Kangirsujuaq. Ce déplacement s’intégrait au cours de gymnastique, nous y allions pour apprendre certains éléments de survie sur le terrain. Nous y avons acquis des techniques qui ont permis aux Inuits de survivre en Arctique depuis de nombreuses générations. De nos jours, les conditions de vie ont bien changé et nombre de ces techniques ne sont plus nécessaires pour assurer la survie quotidienne des Inuits. Par conséquent, elles ne sont plus enseignées à de nombreux jeunes Inuits. Ce fut vraiment intéressant d’avoir la chance d’apprendre des trucs que les Inuits connaissent depuis des décennies.

Kangirsujuaq est un superbe village entouré de montagnes. Même si c’est mon village d’origine, il y a certaines choses que je n’avais jamais eu la chance de faire quand j’étais jeune, notamment de monter l’une de ces montagnes. J’avais escaladé nombre de ces montagnes quand j’étais enfant, mais l’occasion de monter cette montagne en particulier ne s’était jamais présentée par le passé. Étant une personne active qui adore la randonnée pédestre, ce fut pour moi un superbe défi. Je n’avais jamais vraiment fait de randonnée par temps froid avant, de sorte que je ne crois pas que j’étais correctement vêtue. Je portais un gros parka et un chandail, de sorte que je suais facilement; j’enlevais alors mon parka, mais lorsqu’on faisait une pause, j’avais froid et je devais remettre mon parka. Et cela recommençait, encore et encore…

Malgré ma crainte des hauteurs, escalader cette montagne s’est révélé très satisfaisant. C’était formidable de sentir mon corps travailler et de contempler le panorama à mesure que nous nous élevions, même si c’était de la neige et encore de la neige. La satisfaction d’atteindre le sommet de la montagne, marqué d’un inukshuk, et de voir le village tout en bas valait vraiment l’effort physique. Redescendre la montagne en glissant a aussi été un fait saillant de la randonnée; j’ai même réussi à atteindre une bonne vitesse avec mon pantalon de neige. Escalader cette montagne faisait partie des points sur ma liste du cœur.

L’une des activités que j’ai préférées lors de ce voyage a été d’allumer la lampe à l’huile en pierre, le qulliq. Nous avons eu la chance de pouvoir compter sur Ijuka Pinguatuk pour nous enseigner à allumer le qulliq; elle nous a d’ailleurs parlé de l’histoire et de l’importance qu’avait le qulliq par le passé.  L’écouter parler en jouant avec le qulliq ou en regardant mes collègues de classe allumer le qulliq était si agréable et apaisant que j’aurais même pu m’endormir. Ijuka nous indiquait comment les femmes gardaient le qulliq allumé pendant tout l’hiver, à quel point cette lampe était essentielle à la survie des Inuits et l’importance que le qulliq avait pour notre culture. Cette toute petite lampe à l’huile en pierre est importante puisqu’elle a permis aux Inuits de survivre dans les froides conditions climatiques nordiques pendant des générations. Ijuka nous a raconté que les hommes apportaient un plus petit qulliq lorsqu’ils partaient chasser pendant des jours, voire des semaines, pour avoir de la chaleur, de la lumière et quelque chose pour cuisiner. Le qulliq devait être petit pour être léger et facile à transporter sur les traineaux à chiens. La fierté ressentie au moment d’allumer le qulliq en tant que femme Inuk était presque enivrante. Je me sentais tout excitée et j’avais tellement hâte de le dire à ma mère. Un autre point de la liste du cœur que j’ai pu cocher.

Quand on pense aux Inuites, l’iglou est souvent la première image qui vienne à l’esprit. Avant ce voyage, je n’avais jamais construit ni même séjourné dans un iglou.  À Kangirsujuaq, on construisait chaque année un groupe d’iglous dans lesquels certaines personnes séjournaient et dormaient; ce n’était donc pas la première fois que je voyais la construction d’un iglou, même si je n’avais aucune idée du degré de difficulté qu’une telle construction représentait. Nyomi Gordon et moi avons tenté de nous construire un iglou pendant notre voyage. Les formateurs étaient occupés à construire les iglous dans lesquels notre groupe allait passer la nuit, alors nous avons dû demander l’aide de nos collègues de classe. J’avais les mains et les avant-bras fatigués à force de tenir le panak avec une paire de gants gelés, tous les muscles de mon corps me faisaient mal d’avoir soulevé des blocs de neige, qui étaient bien plus lourds que ce que je pensais, et j’étais tout simplement exténuée d’avoir travaillé si fort! Même après y avoir consacré toute la journée, nous n’avions réussi qu’à construire que la moitié de l’iglou. La construction d’un iglou n’est pas vraiment cochée sur ma liste du cœur, mais je vais quand même m’en contenter.

Cette nuit-là, nous avons pu dormir dans les deux iglous que les formateurs avaient construits, tandis que les guides locaux avaient monté une tente pour ceux qui préféraient y dormir. Je peux dire sans me tromper que mes collègues de classe et moi voulions tous dormir dans l’iglou, pour pouvoir affirmer l’avoir fait! Nous nous sommes tous tassés dans les deux iglous pour y dormir tout collés les uns aux autres. Notre iglou ne comportait pas de qulliq et mon sac de couchage était plutôt mince, de sorte que j’ai vraiment gelé la plus grande partie de la nuit. J’avais froid aux doigts, au nez et particulièrement aux pieds, de sorte que j’ai mal dormi. J’avais honnêtement peur pour mes orteils, mais j’étais une Inuk entêtée qui refusait d’aller dans la tente dotée de poêle pour demeurer dans l’iglou. Ceci étant dit, je ne l’ai pas regretté. Une fois de plus, j’étais tellement fière de moi! Même si je n’ai pas construit l’iglou dans lequel nous avons dormi, le simple fait de dormir dans un iglou m’a fait me sentir beaucoup mieux ancré et m’a permis de renouer avec mes ancêtres et ma culture. Un autre point coché sur ma liste du cœur.

Nous avons tenté d’aller à la pêche, mais personne dans ma classe n’a capturé de poisson. Nous avons tenté d’aller cueillir des moules, mais l’endroit que nous avions choisi était entièrement gelé de sorte que nous n’avons récolté aucune moule. Même si nous sommes chaque fois revenus bredouilles, j’ai quand même apprécié ces deux jours sur le terrain. Nous avons fait près de deux heures de motoneige à partir du village pour aller pêcher, et près d’une heure pour aller cueillir des moules. Pendant tout ce temps passé dans les montagnes, à admirer le paysage, j’ai apprécié le simple fait de sortir de la ville, de me retrouver au milieu de nulle part, entourée par la nature. Vivre en ville, dans le sud, on se fatigue rapidement de voir uniquement des immeubles bâtis par les hommes. En ville, je n’ai pas souvent l’occasion d’aller dans la nature. Ces deux journées ont été très importantes pour moi. De voir les montagnes qui entourent Kangirsujuaq me remplit toujours le cœur de joie; je me sens rechargée à bloc.

Quand je repense à ce voyage d’une semaine, cela confirme ce que j’ai toujours cru, que les Inuits sont forts, solides, et l’ont toujours été. Survivre dans le nord sans la technologie moderne, c’est tout un défi! J’ai travaillé d’arrache-pied sur cet iglou, mais n’ai réussi qu’à en construire la moitié. Nous avons tenté à deux reprises de trouver de la nourriture, mais sommes chaque fois revenus bredouilles. Par le passé, il est souvent arrivé que les Inuits soient partis chasser pendant des jours, voire des semaines, pour trouver quelque chose à manger et, tout comme ce fut le cas pour nous, c’était parfois en vain. Les femmes demeuraient au camp, rationnant soigneusement la nourriture, l’huile et la mousse pour être certaines de ne pas en manquer avant que les hommes reviennent pour réapprovisionner le camp. La résilience des Inuits est si évidente!

Malgré la dureté de la vie dans le nord, les Inuits n’y ont pas uniquement survécu, ils y ont prospéré. Les Inuits ont trouvé des moyens de vivre dans le froid, d’oublier même le froid et la faim, ils ont appris à suivre les animaux lors des migrations et, à ce jour, le quajaq, ou kayak, est une technologie inuite toujours largement utilisée partout dans le monde. Je crois que le reste du monde en aurait beaucoup à apprendre des Inuits. Les outils que les Inuits ont fabriqués pour survivre avec un minimum de ressources sont incroyables. Il faut beaucoup d’intelligence pour survivre dans le nord avec si peu de chose à portée de mains, particulièrement quand on pense qu’il n’y a pas d’arbres à Kangirsujuaq, de sorte qu’il n’y a même pas de bois pour se chauffer dans la majeure partie du Nunavik. Les Inuits se sont servis du peu de ressources à leur disposition, et cela a fonctionné.

Je suis une femme moderne et la simple pensée de vivre comme cela est plutôt intimidant, et pour de nombreuses raisons. Beaucoup d’Inuits vivent encore hors des villages; ils préfèrent chasser pour gagner leur vie plutôt que d’avoir un emploi de type occidental. Cela me réchauffe le cœur. Il faut être solide pour vivre dans le nord comme le faisaient les Inuits par le passé.  Il faut d’importantes connaissances pour maîtriser les ressources terrestres et animales, connaître les saisons, savoir comment capturer et écorcher les animaux, et bien d’autres choses encore.